Les récentes affaires de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme dans le monde financier européen ont mis en évidence la nécessité d’un cadre réglementaire harmonisé et coopératif pour les superviseurs nationaux et les cellules de renseignement financier (CRF) afin de traiter plus efficacement de telles activités. Dans cette perspective, l’Adan soutient les mêmes objectifs que l’UE et a toujours été en faveur de l’harmonisation des règles AML/CFT pour toutes les entreprises européennes au sein de l’EEE.

Selon l’Adan, le régime de LBC/FT pour les marchés de crypto-actifs est une nécessité pour assurer la sécurité financière et la confiance au sein des marchés de crypto-monnaies. Cependant, il serait inapproprié de répliquer le cadre actuel de la LBC/FT à cette industrie innovante sans prendre en compte les spécificités de cette nouvelle classe d’actifs. 

Pourtant, les récents développements des débats au sein du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne ont soulevé d’importantes préoccupations pour l’Adan, ses membres et tous les acteurs de l’industrie des crypto-actifs.

L’accélération exponentielle des négociations au cours des dernières semaines et la volonté de faire entrer en vigueur le TFR en même temps que le MiCA, alors que ce dernier projet de règlement a été publié par la Commission européenne un an et demi avant le TFR, pourraient conduire à une incompréhension des véritables enjeux en matière de LBC/FT pour les crypto-actifs. L’assimilation injustifiée des crypto-actifs à des actifs risqués par nature illustre parfaitement une idée fausse sur les technologies blockchain : si les risques de ML/FT existent bel et bien dans l’univers des crypto-monnaies, le niveau réel de ces risques est souvent surévalué. 

Par ailleurs, l’Adan regrette le manque de participation des acteurs européens des crypto-actifs aux débats, ce qui permettrait de mieux comprendre leurs activités. Ils sont en effet les meilleurs interlocuteurs pour évaluer les impacts des nouvelles propositions réglementaires, pointer le manque de réalisme de certaines dispositions par rapport à l’état du marché et partager leurs expériences quant aux opportunités offertes par les crypto-actifs. Disposer de tous ces éléments est un préalable à la mise en œuvre d’un dispositif efficace de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, adapté et proportionné aux risques posés. 

Tel qu’il est actuellement rédigé, le TFR pourrait compromettre l’intention de l’UE d’assurer la protection des investisseurs tout en créant un environnement propice à l’innovation. Pour atteindre ces objectifs, l’Adan considère que le TFR devrait être renforcé sur quatre piliers :

Adaptations pour exploiter les opportunités technologiques. Imposer des règles et des cadres réglementaires existants qui ne sont pas adaptés aux technologies innovantes de la blockchain, conduirait à manquer l’occasion d’améliorer réellement la LBC/FT dans le secteur financier et de tirer parti des possibilités offertes par les technologies sous-jacentes. Les outils d’analyse transactionnelle (TAT) deviennent de plus en plus efficaces et performants. Grâce à des informations « on chain » (telles que les adresses publiques, les dates de transaction, les montants des transactions, etc.), combinées à des données externes « off chain », les TAT permettent de tirer des conclusions sur les risques associés à une transaction ou à un groupe de transactions. La due diligence peut alors être adaptée au niveau de risque identifié. Dans son rapport, Michael Morell – ancien directeur adjoint de la CIA – souligne l’intérêt de ces nouveaux outils et encourage leur utilisation systématique pour la surveillance des flux. Au final, fixer les bonnes exigences en fonction des opportunités technologiques et des outils permettra de construire un cadre efficace et optimal.

Des règles plus proportionnées basées sur une évaluation correcte des risques. L’absence d’une approche granulaire fondée sur les risques pourrait rendre le champ d’application et les règles trop vastes pour être efficaces. En supposant par défaut que toutes les opérations sur les marchés des crypto-monnaies présentent le même niveau de risque, le risque est de ne pas s’attaquer aux vrais risques. L’obligation pour les fournisseurs de notifier aux autorités compétentes tout transfert inférieur à 1 000 euros n’est pas conforme à une approche fondée sur le risque, étant donné que la plupart des transactions effectuées via des portefeuilles non hébergés présentent un très faible risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Sur les marchés des crypto-actifs, les principaux cas de blanchiment d’argent se concentrent autour d’un petit groupe d’acteurs qui se livrent délibérément à des activités de blanchiment d’argent : « Alors que des milliards de dollars de crypto-monnaies se déplacent chaque année à partir d’adresses illicites, la plupart d’entre elles aboutissent à un groupe étonnamment petit de services, dont beaucoup semblent conçus spécialement pour le blanchiment d’argent sur la base de l’historique de leurs transactions. Les forces de l’ordre peuvent frapper un grand coup contre la criminalité basée sur les crypto-monnaies et entraver considérablement la capacité des criminels à accéder à leurs actifs numériques en perturbant ces services. » Pour interrompre ces actions, il serait plus approprié d’enquêter davantage sur ces acteurs, qui pourraient blanchir leurs comportements illicites en raison d’un trop grand nombre d’informations non pertinentes.

Des conditions de concurrence équitables entre le secteur des crypto-actifs et le secteur financier traditionnel. Il conviendrait d’accorder les mêmes exemptions aux acteurs des crypto-actifs qu’aux acteurs du secteur financier traditionnel. En effet, si les crypto-actifs ont souvent un caractère transfrontalier et que ces transferts peuvent être exécutés plus facilement et plus rapidement que les transferts de fonds traditionnels, il est également nécessaire de tenir compte de leur transparence, l’une des nombreuses autres caractéristiques inhérentes aux crypto-actifs. La transparence des réseaux blockchain ne peut être négligée lorsqu’il s’agit de traiter les risques de ML/FT et pourrait bien justifier la mise en œuvre d’une exemption de 1 000 €, les outils d’analyse transactionnelle pouvant être utilisés comme alternative à la règle du voyage pour les transferts de crypto-actifs inférieurs à 1 000 €

Faisabilité. Pour être pleinement applicable, le règlement sur les transferts de fonds devra refléter la réalité du marché et être pragmatique quant aux dispositions qui peuvent ou ne peuvent pas être mises en œuvre. De manière générale, lors d’un transfert, les prestataires de crypto-actifs ne disposent que de l’adresse publique du donneur d’ordre ou du bénéficiaire du transfert. A ce jour, les acteurs ne disposent pas d’une solution leur permettant de récupérer les informations visées par le règlement. A cet égard, il apparaît complexe pour les prestataires de services de crypto-actifs de s’assurer que le propriétaire du portefeuille non hébergé est bien la personne qui le contrôle, surtout si ce propriétaire n’est pas le client du prestataire. De plus, la plupart des fournisseurs de services de crypto-actifs ne disposent pas des informations des autres fournisseurs de services de crypto-actifs. Par conséquent, plutôt que d’imposer de telles obligations aux prestataires, il serait plus approprié d’exiger des entités soumises au présent règlement qu’elles se conforment aux sanctions financières ciblées et qu’elles mettent en place les procédures adéquates correspondantes.

Un juste équilibre entre la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et la préservation d’autres droits fondamentaux. La volonté d’inclure de nouvelles informations lors du transfert de crypto-actifs soulève des risques importants pour la protection des données personnelles des utilisateurs et leur droit à la vie privée.

Au-delà de ces questions de fond, le règlement sur les transferts de fonds présente d’importantes questions plus générales qui ne peuvent être ignorées :

Saper l’innovation, en particulier les activités décentralisées. Une réglementation prématurée et inadaptée des marchés des crypto-actifs – en particulier des applications décentralisées – peut avoir un impact préjudiciable sur l’évolution du secteur. De telles conséquences pourraient avoir des implications importantes pour la viabilité à long terme de l’industrie européenne des crypto-actifs. Cependant, ces applications décentralisées offrent un large éventail de cas d’utilisation innovants :

  • Finance décentralisée (DeFi) : définie comme un complément au système bancaire et financier traditionnel développé sur des réseaux blockchain publics, DeFi permet un plus grand accès aux services financiers. Bien qu’il soit apparu en 2018 seulement, DeFi a déjà construit des services précieux pour les citoyens et les acteurs économiques comme le trading, le prêt, l’assurance, etc. C’est pourquoi DeFi joue un rôle croissant dans la numérisation actuelle de l’économie européenne.
  • Les jetons non fongibles (NFT) : définis comme des jetons uniques certifiant la propriété d’un actif, les NFT atteignent de nombreux segments économiques différents : matériels (œuvres d’art, biens immobiliers et autres) et numériques (objets de collection, avatars numériques, œuvres d’art numériques et autres). 

La mise en œuvre de la Travel Rule soulève des questions importantes pour la souveraineté numérique. Alors que l’industrie des crypto-actifs est principalement composée de petites et moyennes entreprises prometteuses, les développements négatifs autour de la TFR pourraient compromettre l’émergence des futurs champions européens capables de créer une économie numérique sûre et innovante. De plus, comme il n’existe actuellement aucune solution européenne pour la mise en œuvre de la Travel Rule, toutes les informations sur les nouveaux flux « financiers » en crypto-actifs entre citoyens européens et les données connexes seraient concentrées entre les mains d’opérateurs étrangers, qui en auraient la vision et le contrôle complets. 

La mise en œuvre de la Travel Rule soulève d’importantes questions en matière de sécurité de l’information.  La transmission d’informations entre les PCAS nécessite un canal de communication sécurisé et accessible ainsi qu’une norme d’information. De plus, le risque lié à la protection des données personnelles des utilisateurs de crypto-actifs doit être pris en compte. L’Adan considère qu’il serait dangereux d’obliger les joueurs à transmettre automatiquement des informations très sensibles à un CASP qui potentiellement ne serait pas supervisé ou de manière beaucoup moins stricte qu’en France, Allemagne, Espagne et autres, ou établi dans des juridictions qui pourraient avoir un intérêt économique ou stratégique à exploiter ces données.

La mise en œuvre de la Travel Rule soulève des questions importantes pour la compétitivité européenne. La volonté de l’Europe d’être leader dans la mise en œuvre de la Travel Rule sur les marchés des crypto-actifs par une transposition immédiate et parfois extensive de la règle par rapport aux précédentes recommandations du GAFI aura sans aucun doute des conséquences importantes sur la liberté concurrentielle des entreprises européennes vis-à-vis des prestataires étrangers. Cette différence réglementaire pourrait conduire à la fuite des acteurs européens, ce qui nuirait considérablement à la compétitivité de l’UE dans le secteur numérique.

L’Adan reste entièrement disponible pour discuter de ces différents points et mettre en relation les personnes intéressées avec les professionnels du secteur des crypto-actifs concernés par la présente réglementation.

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À propos d’Adan

L’Adan (Association pour le développement des crypto-actifs) est une association à but non lucratif regroupant et représentant les professionnels des crypto-actifs et de la blockchain en France et en Europe. Les membres de l’Adan couvrent un large éventail d’activités : marchés des crypto-actifs, conservation, paiements, gestion des investissements, outils d’analyse de la blockchain, soutien aux projets crypto/blockchain, sécurité informatique, etc. L’Adan a pour mission de promouvoir le développement de l’industrie des crypto-actifs en faveur d’une nouvelle économie numérique. Pour ce faire, l’association dispose d’une expertise technique et réglementaire dans le monde des actifs numériques et entretient un dialogue étroit avec les pouvoirs publics et les associations professionnelles.

Contacts Faustine Fleuret, Présidente-directrice générale – [email protected] Mélodie Ambroise, responsable de la stratégie et des relations institutionnelles – [email protected] Hugo Bordet, responsable des affaires réglementaires – [email protected] Site web : https://adan.eu Twitter : @adan_asso